Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Tribulations en Science et Science Fiction
6 février 2018

Pluton, lonely (dwarf) planet

Jusqu'en 2006, les gens n'en avaient un peu rien à faire de Pluton, alors classée comme étant la 9e planète du Système Solaire. Et puis les astronomes décidèrent de la classer en planète naine lors de leur grande fiesta mondiale tous les 3 ans (l'Assemblée Générale de l'Union Astronomique Internationale, pour faire bien). Et là, la folie commença à déferler sur le monde, à commencer par celui du miscrocosme des astronomes. Soudain, tout le monde a eu une opinion sur Pluton, surtout ceux qui ne comprenaient pas vraiment ce dont il était question, et ceux qui avaient des intérêts pas tout à fait purement scientifiques derrière la tête. À partir de cette assemblée, pour être une planète, il faut:

  1. orbiter autour du Soleil, les exoplanètes donc on ne se prononce pas, pour la bonne raison que nous n'avons pas de connaissances sur le contenu en petits corps (astéroïdes et poussières) et quand on ne sait pas, on ne dit rien (un principe de base en Science que certains feraient bien d'appliquer plus souvent)
  2. être en équilibre hydrostatique, en gros, ça signifie que la forme générale doit être due aux forces qui s'appliquent sur le corps, ce qui se traduit par une forme plutôt régulière, approchant la sphère (comme notre bonne vieille Terre quand on la voie de l'espace ou une sphère carrément aplatie quand le corps tourne vite sur lui-même, comme Saturne ou Haumea (une planète naine encore plus lointaine que Pluton découverte vers 2004-2005)

    Haumea et ses satellites, vue d'artiste par A. Feild (Space Telescope Science Institute) ([1]) [Public domain], via Wikimedia Commons

  3. dominer gravitationnellement son environnement, ce qui signifie que tout objet situé à peu près à la même distance du Soleil doit soit être son satellite, soit être obligé d'accompagner son orbite en restant à des points particuliers d'équilibre gravitationnels qu'on appelle les points de Lagrange, vous comprendrez que quand l'orbite est vide, comme c'est le cas de Mercure, c'est plus facile

Depuis, le monde se scinde entre ceux qui trouvent que Pluton c'est juste un objet un peu massif mais pas vraiment exceptionnel du Système Solaire, et ceux qui pensent que Pluton a été limite insultée (et eux avec) parce qu'elle a été "rétrogradée".

Et ce qui me dérange dans cette histoire, c'est que le point de vue des premiers est souvent montré comme la décision de gens qui n'ont aucune considération pour le passé, pour l'état actuel des connaissances sur les corps telluriques (de roche et de glace quoi) du système solaire et dont l'argument principal (la domination gravitationnelle) sort de nulle part. Eh bien, spoiler alert, ce n'est pas le cas, et je vais même vous montrer en quoi c'est tout le contraire. Et pour ça, remontons justement le cours du temps.

Remontons plus précisément à l'Antiquité, un peu partout sur la planète. La plupart des gens sont capables de reconnaître les constellations les plus immédiates, même si leurs contours, noms et composition en étoiles varient d'une culture à l'autre. Seulement voilà, si la plupart des étoiles restent toujours fixes les unes par rapport aux autres, il y a quelques rebelles qui bougent différemment du mouvement d'ensemble, et qui semblent plus ou moins suivre la même trajectoire que le Soleil. Évidemment, comme ils ne disposaient pas de télescopes, il était impossible de distinguer si leur nature était différente de celles des autres étoiles. Les grecs les appelèrent "astres errants", πλανήτης ἀστήρες, planếtês astêres (merci Wikipedia, j'ai pas fait grec ancien au collège), ce qui au fil du temps a donné notre mot "planète". Pendant des siècles, les seules planètes connues furent celles visibles à l'oeil nu: Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne.

Les astronomes grecs, persans, arabes et autres étant fort matheux, ils ont fait de savants calculs et ont naturellement pensé que ces objets tournaient en fait autour du Soleil, à des distances différentes, plus ou moins éloignées suivant le temps qu'elles mettaient à se déplacer sur la voute céleste. La question de l'appartenance de la Terre à cette liste, elle, est conditionnée par l'adoption du modèle de mouvement qu'on adopte:

  • héliocentrique, la Terre est une planète
  • géocentrique, la Terre est un objet à part et tout tourne autour d'elle
  • hélio-géocentrique, les planètes tournent autour du Soleil, et le Soleil tourne autour de la Terre, vous le sentez l'effort pour ménager la chèvre et le chou?

Je ne resterai pas longtemps sur ce sujet des modèles de mouvement, c'est extrêmement intéressant, mais c'est digne d'avoir son propre article, et la digression serait trop importante.

Ellipsons nous temporellement jusqu'à Galilée, en 1610. Le scoop astronomique de l'époque, c'est la découverte des satellites principaux de Jupiter par notre cher Galileo, en tournant une lunette d'approche vers Jupiter. Comprenons-nous bien, il n'est ni l'inventeur de l'instrument, ni le premier à le tourner vers le ciel, mais il est le premier à avoir compris le potentiel de l'instrument, et l'a perfectionné dans une optique astronomique, et à avoir fait une découverte astronomqiue par ce biais. Il a aussi eu cette intuition géniale que si observer les étoiles à la lunette ne donnait pas grand chose, il serait possible d'observer des choses intéressantes avec les planètes qu'on pensait déjà à l'époque plus proches de la Terre. Et jamais il n'a été question de qualifier les "lunes médicéennes" de planète, pour la bonne et smple raison que leur découverte s'accompagne de l'observation de leur mouvement et qu'il est visible qu'elles tournent autour de Jupiter, et non autour du Soleil. Retenez bien ça: même à l'époque, c'est le mouvement et l'environnement qui incitent les astronomes à créer une nouvelle classe d'objets, les satellites. Voyez aussi que notre Lune, à l'époque, cesse un peu d'être uniquement LA Lune, pour devenir aussi UNE lune. Et que personne n'en a fait un caca nerveux... certes l'analphabétisation de la majorité de la Société de l'époque et le confinement des connaissances à une élite aide aussi... comme quoi, malgré tout, on vit une époque formidable.

Galilée, by Justus Sustermans [Public domain or Public domain], via Wikimedia CommonsMoyenne

Avançons un peu dans le temps, le perfectionnement des instruments et de la méthode scientifique font qu'on découvre des satellites autour d'autres planètes: Titan autour de Saturne en 1655 par Christian Hyugens (vous vous souvenez de la sonde Cassini-Huygens? c'est ce Huygens), Téthys, Dioné, Rhéa et Japet toujours autour de Saturne en 1671-1672 par Giovanni Domenico Cassini (oui le Cassini de la sonde, là il y avait ambiguité, ses descendants sur 3 générations ayant été astronomes et directeurs de l'Observatoire Royal, le futur Obsevatoire de Paris).

Et alors arrive le duo frère-soeur de sérial découvreurs: William et Caroline Herschel. Caroline sera une ardente découvreuse de comètes, William marquera l'histoire par sa découverte, pour la première fois depuis l'Antiquité, d'un nouvel objet orbitant autour du Soleil, une planète, celle qu'on connait aujourd'hui sous le nom d'Uranus en 1781. Uranus avait en fait été observée auparavant, mais la lenteur de son mouvement fait qu'elle n'avait pas été identifiée en tant que planète et qu'elle passait pour une étoile. Malgré tout, à l'époque, ce sont les comètes qui sont à la mode, et c'est en tant que comète que Uranus est identifiée alors. Pour l'identifier en tant que planète, il faudra attendre les calculs de Anders Lexell. Car sa trajectoire est bien celle d'une planète telle qu'on les identifiait à l'époque: c'est à dire une trajectoire presque circulaire, pratiquement dans le même plan que les autres. Retenez bien ceci: on s'est déjà trompé en classant une planète comme une comète, et on a rectifié ça, comme quoi les catégories ne sont pas gravées dans le marbre, et la trajectoire d'une planète, visiblement, ce n'est pas n'importe quoi. William se paiera en plus le luxe de tout un tas d'autres découvertes importantes en astronomie: les premiers satellites d'Uranus, la binarité de certaines étoiles, la découverte du rayonnement infrarouge (si si c'est hyper important en astronomie même si c'est une découverte de physique fondamentale) , etc, etc

Uranus obsevée par Voyager 2, By NASA/JPL (http://photojournal.jpl.nasa.gov/catalog/PIA00032) [Public domain], via Wikimedia Commons

Avançons encore un peu et nous nous retrouvons en 1801. Giuseppe Piazzi découvre un objet massif mais pas assez pour être visible à l'oeil nu entre Mars et Jupiter. Or, depuis des siècles, l'espace entre Mars et Jupiter semble louche aux astronomes: il y a trop de place, et vu la répartition des autres planètes, on s'attendrait à trouver une planète entre les deux. Piazzi qualifie sa découverte de "comète", mais espère malgré tout que les calculs de ses collègues montrent que sa trajectoire n'est pas celle d'une comète. C'est effectivement ce qui se passa, et pendant un demi-siècle, Cérès fut considérée comme une planète. Pendant ce demi-siècle, on découvrit tout un tas d'autres objets, plus ou moins grands, même si tous plus petits que Cérès, qui orbitaient autour du Soleil à une distance similaire. Parmi ces objets, on peut citer Pallas, Junon et Vesta, qui furent toutes aussi classées comme planètes. Au fur et à mesure, on comprit que Cérès n'était pas une planète, mais l'objet le plus massif d'un nouveau type de corps qu'on baptisa du nom d'astéroïde (une proposition de William, il est partout dans les découvertes astronomiques de l'époque). Aujourd'hui, on sait qu'il s'agit d'un groupement énorme d'objets de tailles et de nature différentes qu'on appelle la Ceinture principale d'astéroïdes, "princpale" parce qu'elle est longtemps restée la seule connue. Depuis, on a aussi découvert la ceinture de Kuiper (plus grande, plus lointaine, plus massive), mais l'âge de la dénomination fait que pour l'instant personne n'ose remettre en cause cette appellation. Qu'est-ce qui a bien pû pousser les astronomes à ne pas garder 4 planètes avec des distances au Soleil si semblables? Tout simplement parce qu'ils pensèrent que le fait d'avoir tant d'objets au même endroit signifiait que le processus d'évolution de cette zone n'avait pas été le même que celui des planètes.

Avançons vers les années 1840, Uranus ne se comporte pas comme l'univers merveilleux des calculs le prédit. La lenteur de son orbite, de 84 ans, fait qu'il a fallu tout ce temps avant d'avoir observé une portion suffisante de son orbite pour s'en rendre compte. Pour expliquer ses anomalies de trajectoire, le français Alexis Bouvard postule l'existence d'une huitième planète, plus lointaine. Qui dit une planète plus lointaine, dit une planète plus lente, et dont le mouvement est donc difficilement identifiable. Commence alors une compétition entre d'un côté Urbain Le Verrier, et de l'autre John Couch Adams, sur qui réussirait à prédire où cette hypothétique planète devrait se trouver pour expliquer les anomalies de trajectoire d'Uranus. Le Verrier sera vainqueur, et la planète sera nommée Neptune (même si Le Verrier aurait aimé qu'elle porte son nom, aussi mégalomane qu'odieux accessoirement). Seulement la découverte de Neptune ne s'accompagne pas de la découverte de satellites, et la masse de la planète est mésestimée. La trajectoire d'Uranus est donc, pour certains, considérée comme un indice sur la présence d'une autre planète, encore plus lointaine que Neptune, qui permettrait d'expliquer les anomalies restantes.

Un riche industriel américain, Percival Lowell, astronome amateur à ses heures, décide de trouver cette hypothétique 9e planète. Il commence ses efforts en 1905, dédie une partie de sa fortune pour assurer la poursuite de la recherche après sa mort. En 1930, 14 ans après le décès de Lowell, Clyde Tombaugh, trouve enfin un objet pus lointain encore que Neptune. Il s'agit de Pluton. Seulement voilà, plus on observe Pluton, plus les astronomes se rendent compte que quelque chose semble clocher par rapport aux autres planètes. Tout d'abord, sa trajectoire est fortement excentrique (c'est à dire plus proche du contour d'un ballon de rugby que d'un cercle) et inclinée. Ensuite, au fur et à mesure du raffinement de l'estimation de sa masse et de celle de Neptune, on se rend compte que sa masse avait été largement surestimée. Enfin, dès sa découverte, Pluton est pensé comme étant juste un objet parmi d'autres au-delà de Neptune, restes de la nébuleuse primordiale à l'origine du Soleil, et partiellement agglomérée en divers corps. C'est du moins la théorie des astronomes Kuiper et Edgeworth. Jusqu'à la découverte de Charon, le principal satellite de Pluton, en 1978, les estimations de la masse de la 9e planète continue de varier drastiquement, toujours à la baisse. Grâce au mouvement de Charon, on contraint enfin de manière fiable la masse de Pluton, et alors le verdict tombe: Pluton est minuscule, seulement 10 fois plus massive que Cérès. C'est beaucoup pour un astéroïde, mais ça n'en fait pas pour autant un objet très massif, et même la Lune, notre satellite, est plus massif. Mais la masse ne fait pas tout. Après tout Mercure est moins massive que Ganymède, le plus grand et lourd satellite du système solaire. Néanmoins, le faisceau d'éléments qui laissent penser que Pluton ne devrait pas vraiment être considéré comme une planète mais plutôt comme un petits corps ne s'arrête pas là. En 1992, on découvre le premier objet transneptunien depuis la découverte de Pluton: 1992 QB1, depuis baptisé Albion. Il est beaucoup plus petit que Pluton, il est plus lointain, mais il est le premier d'une ribambelle d'autres qui seront découverts par la suite avec l'amélioration des télescopes, et le développement des observations systématiques du ciel (désignées souvent sous le nom anglais de survey).

Lowell Observatory, lieu de la découverte de Pluton, by Kaldari (Own work) [Public domain], via Wikimedia Commons

Pluton restait le plus massif dans cette nouvelle population, mais en réalité tous les spécialistes de mécanique céleste considéraient déjà que Pluton n'était qu'un objet qui restait de la formation du système solaire, et se trouvait donc exclu des scénarios de formation des planètes. Pour quelle raison? Parce que son orbite est inclinée et excentrique, plus révélatrice d'excitations et de collisions que d'une formation potentiellement violente, mais dont les marques ont été atténuées par le temps comme pour le système Terre-Lune. Pour Mercure et Vénus, il s'agit de la violence du vent solaire lors de la jeunesse de notre étoile qui a certainement vidé leur orbite, pourquoi seuls ces deux objets ont pû se former? La domination gravitationnelle de l'environnement n'est pas un élément anodin qu'on peut balayer d'un revers de la main. Nous ne savons même pas si notre système est une exception de ce point de vue, ou si de nombreux autres systèmes d'exoplanètes sont semblables au notre. Alors, parce que nous ne savons pas comment vivent les exoplanètes, parce que les orbites vides des planètes sont révélatrices de leur histoire, parce que nos connaissances progressent en même temps que nous changeons notre point de vue dessus, Pluton a été changé de catégorie. Nous ne considérons plus que c'est une planète, mais nous reconnaissons que le fait qu'elle soit assez massive pour être à peu près sphérique est quelque chose de significatif. Et donc c'est pour cela que fut créé la classe des planètes naines, dont fait aussi partie Eris, qu'on présente souvent comme étant la raison de la "dégradation" de Pluton.

Et pour ceux qui se posent la question, la présence de satellites n'est pas caratéristique, on découvre tous les jours des satellites autour d'astéroïdes, y compris les "patatoïdes". La décision de créer une nouvelle catégorie pour Pluton n'est donc pas une ignorance du passé, ce n'est pas une ignorance de l'état actuel des connaissances en planétologie, et la domination gravitationnelle de l'environnement est une notion sous-jacente dans ce que nous nommons planète depuis au moins la découverte des satellites galiléens. Pluton aurait juste pu être la dernière planète un peu bizarre du système solaire, elle est finalement le premier objet de l'énorme famille des objets transneptuniens, et la première preuve de l'existence de restes de la formation du système solaire autres que les comètes qu'on suppose appartenir au gigantesque Nuage de Oort, l'extrême dernière partie hypothétique de notre système solaire.

Pluton, la plus jolie des planètes naines, by NASA / Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory / Southwest Research Institute [Public domain], via Wikimedia Commons

Dorians - Lonely Planet (Armenia) - LIVE - 2013 Grand Final

Publicité
Publicité
Commentaires
Tribulations en Science et Science Fiction
Publicité
Archives
Publicité